Embarquez pour “Le Meilleur des mondes”…

Dans le domaine des incontournables des romans dystopiques, il est impossible difficile de ne pas parler d’un monument, par ailleurs souvent mis en concurrence avec 1984 de George Orwell… ⚔️

Vous l’aurez peut-être déjà compris, je veux parler de ⤵

HUXLEY Aldous. Le Meilleur des mondes. Paris : Pocket, 2017, 320 p.

 


👉 Le Meilleur des mondes 👈

 

Le résumé : dans cette société du futur, la reproduction sexuée n’existe plus. Cet État Mondial parfaitement hiérarchisé a cantonné les derniers hommes « sauvages » dans des réserves. Les humains ne sont plus produits qu’en laboratoire : les fœtus y évoluent dans des flacons, les bébés naissent dans le Centre d’Incubation, les enfants grandissant dans le Centre du Conditionnement. Ils s’initient à des jeux sexuels ou font des visites à l’hôpital pour ne pas craindre la mort, et les adultes s’interdisent toute relations affective véritable. La règle d’or : ne pas souffrir.

La culture in vitro des embryons a engendré le règne des Alphas, génétiquement déterminés à être l’élite dirigeante. Les castes inférieures sont elles, conditionnées pour se satisfaire pleinement de leur sort. Dans cette société où le bonheur est loi ! Famille, monogamie, sentiments sont bannis.
Quitte à se dérégler le corps et l’âme avec des comprimés de « soma. »

Le meilleur des mondes est possible. Il est une société « idéale », aseptisée et fière de l’être, puisqu’elle est parvenue à chasser le sentiment de frustration…

 

 

Mon avis : quand on parle d’utopie sombre, le britannique Aldous Huxley fait partie des pionniers du genre. Voici près d’un siècle, dans d’étourdissantes visions, il imaginait Le Meilleur des mondes.

Ecrite en 1931 en l’espace de quatre mois, à Sanary-sur-Mer (dans le sud de la France) et publiée en 1932, cette fiction nous fait découvrir un monde où les humains sont fabriqués en laboratoire, préparés à une vie prédéterminée, dont ils se satisferont sans se poser de question. Un monde où chacun est à sa place, et bienheureux d’y être.

« Trois étages de porte-flacons : au niveau du sol, première galerie, deuxième galerie. La charpente métallique, légère comme une toile d’araignée, des galeries superposées, se perdait dans toutes les directions jusque dans l’obscurité. Près d’eux, trois fantômes rouges étaient activement occupés à décharger des dames-jeannes qu’ils enlevaient d’un escalier mobile. L’escalator, partant de la Salle de Prédestination Sociale. »

 

A quoi tient cette réussite ? D’une part, à un conditionnement dès la naissance qui s’assure que chaque individu est physiquement et mentalement préparé au statut qu’il occupera dans la société, façonné pour lui. D’autre part, à une culture du bonheur implacable, visant la satisfaction immédiate.

« La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader, un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude. »

 

Le monde est divisé en cinq castes (Alphas, Bêtas, Gammas, Deltas et Epsilons), elles-mêmes divisées en deux sous-castes (les Plus et les Moins). On trouve ainsi la caste des Alphas-Plus (qui sont l’élite dirigeante), etc. Leur apparence physique comme leurs facultés intellectuelles sont fonction de cette caste.

Les membres des castes inférieures que sont les Deltas et les Epilons (les travailleurs manuels) sont produits en série par un procédé de division cellulaire, le Procédé Bokanovsky, et un atelier d’usine taylorisé équipé de machines permettant de sortir par dizaines des ouvriers clonés absolument identiques.

« Le Procédé Bokanovsky est l’un des instruments majeurs de la stabilité sociale ! […]

— Quatre-vingt-seize jumeaux identiques faisant marcher quatre-vingt-seize machines identiques ! – Sa voix était presque vibrante d’enthousiasme. – On sait vraiment où l’on va. »

 

Toujours dans le souci d’optimisation, produire le nombre exact de travailleurs pour chaque fonction de la société – selon les chiffres du service de prédestination – est indispensable. Ainsi, les traitements que subissent les êtres humains au cours de leur développement détermineront leurs futurs aptitudes, goûts et comportements, afin d’être pleinement en accord avec leur future position dans la hiérarchie sociale. Par exemple, les fœtus des castes inférieures reçoivent une dose d’alcool qui entrave leur développement physique et cognitif, et qui les tient éloignés de tout ce qui a trait à la nature.

« Et c’est là… qu’est le secret du bonheur et de la vertu, aimer ce qu’on est obligé de faire. Tel est le but de tout conditionnement : faire aimer aux gens la destination sociale à laquelle ils ne peuvent échapper. »

 

Dans cette une fable prophétique glaçante, l’obsession consumériste, le diktat de l’efficacité et de l’économie et le culte du bonheur à tout prix sont devenus les forces dominantes de la société. Les émotions sont contrôlées, balisées par la consommation de soma, une drogue de synthèse présentée au peuple comme étant un simple médicament.

« Le monde est stable, à présent. Les gens sont heureux ; ils obtiennent ce qu’ils veulent, ils ne veulent jamais ce qu’ils ne peuvent obtenir. Ils sont à l’aise ; ils sont en sécurité ; ils ne sont jamais malades ; ils n’ont pas peur de la mort ; ils sont dans une sereine ignorance des passions et de la vieillesse ; ils ne sont encombrés de nuls pères ni mères ; ils n’ont pas d’épouses, pas d’enfants, pas d’amants, au sujet desquels ils pourraient éprouver des émotions violentes ; ils sont conditionnés de telle sorte que, pratiquement, ils ne peuvent s’empêcher de se conduire comme ils le doivent. Et si par hasard quelque chose allait de travers, il y a le soma. »

 

 

Mais est-il possible d’être heureux dans une telle société ?
A moins de sacrifier jusqu’à la dernière trace d’indépendance d’esprit, il semble que non… Ce « meilleur des mondes » se révèle être le pire des mondes, c’est parce qu’il assure le bonheur du corps en lui sacrifiant la culture de l’âme, qui constitue pourtant la fin suprême de l’homme.

« Il est impossible d’avoir quelque chose pour rien. Le bonheur, il faut le payer. »

 

Dans un essai publié pour la première fois en 1985, un théoricien de la communication, professeur de l’université de New-York, compare les visions dystopiques d’Orwell et de Huxley. Il explique que contrairement aux apparences, elles sont radicalement différentes : « Orwell prévient que nous serons vaincus par une oppression imposée de l’extérieur. Mais dans la vision de Huxley, aucun Big Brother n’est nécessaire pour priver les gens de leur autonomie, de leur maturité et de leur histoire. Comme il le perçoit, les gens en viendront à aimer leur oppression, à adorer les technologies qui défont leurs capacités de penser. »  (POSTMAN Neil. Se distraire à en mourir. Paris : éditions Nova, 2010, 254 p.)

« Si l’on est différent, il est fatal qu’on soit seul. On est traité abominablement. Savez-vous bien qu’ils m’ont tenu à l’écart de tout, absolument ? »

 

Le Meilleur des mondes aurait peut-être mérité, comme ce fut le cas pour la dystopie orwellienne, une traduction dépoussiérée. Car malgré la préface de l’auteur, le texte français passe à côté de nombre de ses références ou effets stylistiques. En effet, dans sa version originale le récit est truffé de jeux de mots et de répliques de pièces de Shakespeare.

Cependant le totalitarisme mis en exergue dans ce livre, et qui aboutit à la destruction de tout rapport authentique, au profit d’un monde hors-sol fait de divertissements superficiels et de consommation à tout va, nous paraît tristement familier… Ce qui peut être déroutant, quand on sait qu’Aldous Huxley l’a écrit à une époque (l’entre-deux-guerres) où la technologie n’était qu’au stade hypothétique.

Selon moi, Le Meilleur des mondes est sans conteste l’une des œuvres les plus pertinentes qui soit pour comprendre les dérives de notre société. Un chef-d’œuvre d’une puissante clairvoyance, tout simplement.

 

🏷️ L’œuvre en 5 mots-clés : Le Meilleur des mondes, Huxley, soma, castes, prédestination

 

🎁 Petit bonus 👉 Aldous Huxley – qui parlait couramment français – était en juin 1960 l’invité d’Hubert Aquin pour l’émission Premier Plan sur la chaîne américaine Radio Canada :

L’auteur du roman de science-fiction Le Meilleur des Mondes discute des dangers de la technologie, de la perte de liberté individuelle et de l’effet hypnotisant et abrutissant des écrans de télévision.

 

Un vrai régal à écouter ❤

 

Cette publication a un commentaire

  1. Barbara

    Salut à tous et merci aux deux créatrices de ce blog qui est vraiment magnifique.
    Je ne connaissais pas cette entrevue filmée de Aldous Huxley. Mille mercis pour la découverte 👍

    Barbara

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