Les romanciers français ne sont pas en reste de dystopies, et dans des incontournables, Pierre Boulle est évidemment à citer ⤵
BOULLE Pierre. La Planète des singes. Paris : Pocket, 2017, 192 p.
Le résumé : y a-t-il de la vie hors de notre galaxie ? C’est la question que se posent trois terriens, le professeur Antelle, le physicien Arthur Levain son second et le journaliste Ulysse Mérou, lorsqu’ils observent depuis leur vaisseau spatial le paysage d’une exoplanète. Celle-ci gravite autour de la géante rouge de la constellation d’Orion, Bételgeuse. Ils la baptisent Soror, et ils constatent qu’elle a de l’eau, une atmosphère, et parait habitée.
En effet, Soror semble receler des villes et des routes curieusement semblables à celle de notre Terre. Après s’y être posés, les trois hommes découvrent que la planète est en réalité habitée par des singes civilisés. Et dans ses parties restées sauvages et boisées, on y trouve des êtres humains en tout point comparables à nous, sauf en ce qui concerne le langage et le mode de vie. Eux sont sont nus, et ils grognent.
Au cours d’un bain régénérateur dans un étang, ils reçoivent la visite d’une créature féminine d’une grande beauté, craintive, et aux manières qui ne manquent pas de surprendre les explorateurs : ses réaction semblent plus proches de l’animal que de l’humain. Ils rejoignent « la tribu » de « Nova » (c’est ainsi qu’ils baptisent l’apparition), pour constater un groupe à la plastique parfaite, mais dépourvu de langage, de sourire, voire d’expression faciale intelligente… Au même moment, une gigantesque battue à l’homme est organisée, et beaucoup d’hommes indigènes sont tués, de même que le second de l’expédition. D’autres sont capturés, parmi lesquels Antelle et Mérou.
Les chasseurs d’hommes sont de grands singes anthropoïdes qui vont enfermer leurs prises dans des cages avant de les utiliser dans des expérimentations animales. Il faudra que le journaliste fasse, devant les singes, la preuve de son humanité…
Mon avis : qui n’a jamais entendu parler de La Planète des singes ? 🤔
Beaucoup ont vu des adaptations ciné (que ce soit la première datant de 1968, ou les suivantes), en revanche tout le monde n’a pas lu le livre de Pierre Boulle. Pourtant le roman est meilleur !
Paru en 1963, il a marqué par son histoire plusieurs générations qui, lorsqu’elles visitaient un parc zoologique, ne pouvaient s’empêcher de repenser à cette fiction devant les enclos des grands singes… Le journaliste Ulysse Mérou est notre narrateur tout au long du livre. Ecrit dans un style limpide et savoureux, je trouve qu’il n’a pas vieilli d’un pouce. Il y est par exemple question d’un vaisseau propulsé par la technologie de la voile solaire (celle à l’origine du projet « Breakthrough Starshot » lancé début 2016 par Youri Milner et Stephen Hawking 🌠).
La Planète des singes est une dystopie construite au cordeau. Le suspense y est intense, le contexte social et politique d’un monde dans lequel on plonge avec autant de fascination que d’effroi est très bien dépeint. L’appréhension du déclin de la civilisation humaine, précipité par la diminution de l’intérêt pour les livres et le goût du moindre effort, est édifiante.
« Ce qui nous arrive était prévisible. Une paresse cérébrale s’est emparée de nous. Plus de livres ; les romans policiers sont même devenus une fatigue intellectuelle trop grande. Plus de jeux ; des réussites, à la rigueur. Même le cinéma enfantin ne nous tente plus. Pendant ce temps, les singes méditent en silence. Leur cerveau se développe dans la réflexion solitaire… et ils parlent. »
Le journaliste Ulysse Mérou nous raconte comment il s’est retrouvé en 2500 sur cette drôle de planète où les hommes sont bestiaux et ne savent plus parler. ; et où ce sont les singes qui détiennent le langage… et le pouvoir. Loin d’être aussi simpliste qu’elle laisse paraître, cette histoire fait énormément réfléchir.
En lisant ce bouquin, les sentiments sont mêlés, complexes. On ressent forcément de l’empathie à l’attention du narrateur, mais aussi pour certains des singes comme Cornélius et Zira, dont le grand cœur contraste drastiquement avec la cruauté de certains autres. Comme on peut le voir dans la gent humaine, finalement…
« J’assistais à une battue – j’y participais aussi, hélas ! – une battue fantastique où les chasseurs, postés à intervalles réguliers, étaient des singes et où le gibier traqué était constitué par des hommes, des femmes comme moi, des hommes et des femmes dont les cadavres nus, troués, tordus en des postures ridicules, ensanglantaient le sol. »
Ulysse Mérou est traqué, capturé et asservi par cette nation de singes dominants sur Soror, cette planète qui ressemble tant à sa Terre natale. Traité comme le sont chez nous le animaux de laboratoire.
« Je ne raconterai pas en détail les scènes qui se déroulèrent dans les cages pendant les semaines qui suivirent. Comme je l’avais deviné, les singes s’étaient mis en tête d’étudier le comportement amoureux des humains et ils apportaient à ce travail leur méthode habituelle, notant les moindres circonstances, s’ingéniant à provoquer les rapprochements, intervenant parfois avec leurs piques pour ramener à la raison un sujet récalcitrant. »
L’air de rien, La Planète des singes nous emmène dans une réflexion profonde sur ce qu’est notre civilisation. Sur notre rapport aux animaux aussi, dans un monde où l’homme et l’animal ont échangé leur place, où les rôles sont véritablement inversés.
« A présent prenez un homme, enlevez-lui ce qui le rend homme, ses vêtements, ses chaussures, sa montre, sa voiture et – pourquoi pas ? – la parole. Que lui reste-t’il, s’il n’est pas Tarzan, qui est d’ailleurs plus singe qu’homme ? Rien. »
C’est vraiment un livre que je conseille à tous. Une utopie sombre écrite dans les années soixante, mais n’ayant pas pris une ride dans son écriture comme dans les thèmes abordés. Il résonne très fort avec les questions de défense animales liées aux considérations animalistes et/ou végans.
« Quel sort est plus pitoyable que la vie dans une cage ? »
Un roman dystopique petit par sa taille, mais grand par sa qualité 🤩
Le thème « dominant/dominé » où le dominé finit par surpasser le dominant est intemporel, et fonctionne vraiment très bien. On a envie d’aller au bout de la fiction, de savoir ce que va devenir Ulysse Mérou. On souffre avec lui, on espère avec lui.
Bien sûr le livre possède plusieurs niveaux de lecture, dans lesquels chacun peut se retrouver et projeter ses propres fantasmes… Il reste que pris au premier degré, La Planète des singes est une sublime contre-utopie, où le pacifisme et l’humanisme sont bien moins présents que dans les adaptations qui ont été faites par la suite du roman.
🏷️ L’œuvre en 5 mots-clés : La Planète des singes, Boulle, Soror, Ulysse Mérou, professeur Antelle