“Marche ou crève” de Richard Bachman, alias Stephen King

Pour continuer ma série de billets dans la catégorie Les incontournables, je vais aujourd’hui vous parler d’un livre qui n’est pas le plus connu de cet auteur hyper-prolifique. Je veux bien sûr parler de l’américain Stephen King❗

Je suis certaine que je ne vous apprends rien : à une période, Stephen King a eu recours à un double littéraire en la personne de Richard Bachman sous lequel il a publié sept romans. Dont celui dont je m’apprête à vous présenter ⤵

BACHMAN Richard [pseud. de Stephen KING]. Marche ou crève. Paris : Le Livre de Poche, 2004, 384 p.

 


👉 Marche ou crève 👈

 

Le résumé : écrit en 1967 par un Stephen King étudiant et révolté, Marche ou crève est un effroyable voyage dans un futur proche où les États-Unis d’Amérique sont devenus une dictature militaire fascisante. L’attraction la plus médiatique, attendue et populaire de cette Amérique décalée est un événement retransmis à la télévision, suivi par des milliers de personnes. Chaque 1er mai, cent concurrents se pressent au départ d’une terrible épreuve qui s’appelle « La Longue Marche. » Un seul d’entre eux est attendu à l’arrivée.

Tous les concurrents sont de grands adolescents devant aller au bout de leurs limites… et de l’horreur. Car ce qui peut faire penser à un marathon est en réalité soumis à des règles proprement inhumaines. Les consignes sont simples : ne jamais s’arrêter et ne pas ralentir en deçà de 6,5km/heure. Tout contrevenant s’expose à un avertissement. Au bout de trois avertissements, le fautif est abattu d’une balle dans la tête ☠

Aucune distance planifiée, aucune durée maximale : le vainqueur de ces jeux du cirque futuristes est simplement le dernier coureur survivant. Marche ou crève, telle est la morale de cette compétition sur laquelle une Amérique obscène et fière de ses combattants mise chaque année deux milliards de dollars. Les participants continuent de courir en piétinant des corps morts, continuent de respirer malgré l’odeur des cadavres, continuent de vouloir gagner en dépit de tout.

 

 

Mon avis : comme la plupart des romans signés Richard Bachman, Marche ou crève est une histoire noire et haletante qui a énormément d’arguments pour plaire ! Servi par un style concis et épuré, ce huis-clos à ciel ouvert peut compter sur le sens infaillible de la narration de son auteur qui y a ajouté des personnages solides. Le tout donne naissance à une superbe critique d’une Amérique ultra-libérale dans laquelle les médias seraient tout-puissants.

Cette magnifique dystopie sous forme de page-turner nous propulse dans une société qui a élevé l’individualisme au rang de valeur suprême. Un monde où les gens applaudissent pour en voir d’autre souffrir, agoniser, se dépasser, mourir. Un monde où les participants acceptent de leur plein gré de participer à un plan diabolique organisé par des fous. Ils se vendent au diable, et le comprennent trop tard.

« Cent concurrents au départ, un seul à l’arrivée. Pour les autres, une balle dans la tête. »

 

Ici, ce que l’on teste, c’est l’endurance face à la mort. L’épreuve sportive est encadrée par l’armée. Les participants doivent avancer sans jamais se retourner, sans jamais sans s’arrêter.  Mais sur la route, le pire, ce n’est pas la fatigue, la soif, ou même le bruit des half-tracks et l’aboiement des fusils. Le pire c’est cette créature sans tête, sans corps et sans esprit qu’il faut affronter : la foule. Elle harangue les concurrents dans un délire paroxystique de plus en plus violent et cela donne une aventure formidablement inhumaine.

« Il fallait plaire à la Foule. Il fallait la craindre et l’adorer. Ultimement, il fallait se sacrifier à la foule. »

 

Car la dimension sociale est une constante dans ce livre. Les personnages sont crédibles et fragiles. Et le contraste avec la société, sa violence, le côté monstrueux de ce public est alors d’autant plus frappant que les personnages sont soignés et attachants.

Le protagoniste de Marche ou crève s’appelle Ray Garraty. C’est un jeune homme naïf de 16 ans, tout droit sorti du pays des Bisounours (non, en vérité il est natif du Maine 😉), que l’on suit dans ses rencontres, dans ses pensées, dans ses souffrances. Il subit l’inexorable déroulement de cette monstrueuse course avec son cœur, bien plus qu’avec sa tête. Et on le voit, au fil de l’aventure, son rapport à la mort va être profondément bouleversé (de même que son rapport à sa propre vie).

Si la foule est une entité redoutable, mue par un voyeurisme malsain et une humanité vicieuse, l’horreur ne se retrouve pas seulement côté spectateurs ! Chaque participant laissera tôt ou tard sa part sombre prendre le dessus, et les comportements humains sont passés à la moulinette pour mettre en évidence leur brutalité, leur côté crû. Nous marchons aux cotés de Ray, nous nous attachons avec lui à ses compagnons de route. Nous vivons leur propre introspection. Les sentiments et la douleur que peuvent ressentir les personnages sont si bien partagés, qu’on en souffre aussi au fil des pages.

Rarement un titre n’aura si bien résumé une fiction. Deux choix possibles, pas un de plus : vaincre la peur, le froid, la faim, les échos des balles qui déciment un a un les autres participants, ou mourir.

« Il espérait qu’il n’entendrait pas les coups de feu. Mais il les entendit. »

 

Les jeux du cirques ne sont pas morts, Marche ou crève en est la preuve. Cette Longue Marche est l’expression ultime de la cruauté et de l’absurdité d’un régime dictatorial où les êtres ne valent rien de plus que l’excitation de la foule qui assiste, comme au spectacle, à l’abattage de jeunes vies désillusionnées.

« L’ultime jeu serait celui où le concurrent perdant est tué. »

 

La société dans laquelle nous emmène le roman prône l’élitisme le plus absolu 😞
Qu’y a-t-il à la clé ? Eh bien le vainqueur peut demander ce qu’il veut, tout au long de la vie qu’il aura réussi à sauver de cet enfer. Mais à quel prix ? 

Marche ou crève est l’une des dystopies les plus dures et les plus cruelles qu’il m’ait été donné de lire, mais c’est aussi l’une de mes préférées parce qu’elle prend aux trippes. Elle a beau avoir été écrite en 1979, elle reste d’une justesse surprenante et décrit une communauté si proche de notre quotidien des années 2020 que le sujet en devient troublant.
C’est un véritable roman coup de poing à l’atmosphère oppressante qui nous plonge dans les abimes d’un état militarisé, fasciste, qui encadre et régule par la force tous les excès et toutes les fautes. Sa critique d’une société qui se repaît de souffrance est particulièrement acerbe, et le récit farouchement accrocheur tient en haleine.

La question de savoir si notre héros ira jusqu’au bout devient presque accessoire par moment, tant l’angoisse tissée au fil des pages est prenante. C’est bien simple : il est impossible de le lâcher avant la fin 👍

 

🏷️ L’œuvre en 5 mots-clés : Marche ou crève, Bachman, Ray Garraty, huis-clos, la Longue Marche

 

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