Laissez-vous entraîner dans “La Zone du Dehors”

Dernier roman dystopique présenté dans la catégorie des incontournables, il est l’œuvre d’un auteur français pour qui se fut le premier livre publié ⤵

DAMASIO Alain. La Zone du Dehors. Paris : Gallimard, 2015, 656 p. (collection Folio SF)

 


👉 La Zone du Dehors 👈

 

Le résumé : le roman se déroule en 2084 (gros clin d’œil à 1984 de George Orwell). La Terre est devenue une planète hostile depuis la guerre nucléaire. Hormis l’Afrique, rien n’est plus habitable. L’humanité s’est donc mis en quête de nouveaux territoires à travers l’espace, et a installé une colonie sur un satellite de Saturne, appelé « Cerclon I ».

Cette ville, qui se pose comme un parangon de démocratie, fonctionne grâce à une hiérarchie stricte. Chaque habitant y est classé en fonction de son mérite, ce qui lui confère un nom sous forme de (série de) lettre(s), à commencer par le Président, qui est nommé « A ». Son gouvernement, lui s’étende de « B » à « Z »… Souriez, vous êtes gérés ! Le citoyen ne s’opprime plus : il se fabrique et se nomme selon le classement des habitants, des 1-lettrés aux 5-lettrés. Mais tout le monde n’entend pas obéir aux règles de Cerclon, et un mouvement révolutionnaire ira au bout de sa volution.

On y suit le parcours initiatique de Bdcht au sein de cette organisation rebelle, baptisée la Volte et emmenée par un quatuor d’hommes 5-lettrés : le philosophe et fin stratège Captp, le peintre pacifiste Kamio, le passionné et impulsif Slift et le père de famille Brihx. Le Dehors est leur espace, subvertir est leur seule arme. Jusqu’au-boutistes, rejetant les anciennes méthodes de communication (manifestations, tracts), ils tenteront de s’opposer au système totalitariste par des coups d’éclats avec l’objectif de mettre en lumière le côté néfaste de divers aspects du système, tels que le Clastre, la tour-télé ou les panopticons.

 

Mon avis : à l’exact opposé d’un auteur ultra-prolifique comme Stephen King, Alain Damasio écrit peu. Pour ne pas dire très peu. Mais quand il le fait, c’est plutôt chouette 😇

La Zone du Dehors est son premier roman, celui par lequel il s’est fait connaître. Initialement publié aux éditions Cylibris en 1999, il a été réécrit et remanié pour une parution aux éditions La Volte en 2007. Ce livre multiplie les références à l’univers orwellien. Au delà de la date choisie – 2084 – on retrouve l’idée d’un président omniprésent et au visage et à l’identité inconnus, à l’instar du célèbre Big Brother…

« Étrange comme le choc de rencontrer A, en tête à tête, mano a mano, m’avait fait oublier à quel point le mot avenir ne pouvait plus, pour moi, avoir le moindre sens. J’étais fini. Sauf à m’évader. Ce qui paraissait impossible sous traçage laser. »

 

On y suit la vie molle des habitants de Cerclon, société pseudo-démocratique installée sur un satellite de Saturne caractérisée par « le Clastre », un système de classement conçu comme parfaitement juste, transparent et objectif. La place de chaque individu dans la société est définie par ce programme de hiérarchisation : tous les deux ans, les citoyens se réunissent pour classer les leurs selon leur comportement, leur efficacité au travail, leur implication dans Cerclon, etc.

Le nom de chaque individu est (re)défini à l’issue de ce Clastre, composé d’un code de lettres selon un classement établi en développant l’idée de « dividus » n’existant que dans son rapport à la masse et sa place dans le système. Le résultat est un code qui range toute la population, depuis les 1-lettrés (le gouvernement avec le président « A » à sa tête) jusqu’aux 5-lettrés, le premier étage de la pyramide… dernier barreau de l’échelle sociale.

Les activistes de la Volte font évidemment partie de la catégorie la plus basse, les 5-lettrés :

« Boule de Chat » (comment la surnommer autrement ? Son appellation officielle – je ne disais même pas « nom » parce que les gens n’avaient plus de nom avec le Clastre, les gens n’étaient plus prononçables – était Bdcht : Boule De CHaT. Et c’était tellement ça : une boule de poils et de griffes qui, hirsute, déboulait sur ma vie) frissonnait contre mon dos. »

 

Les habitants de Cerclon se surveillent donc mutuellement et doivent, sous peine de déclassement, rester dans « la norme ». Ils sont également surveillés, filmés, fichés…

« — Tous les fichiers que vous tenez sont aussi… complets ?

— Ça dépend.

— H-V-I-U par exemple ?

Elle pianota. Je connaissais assez bien HVIU, c’était un ami d’enfance, enclastré, mais que je ne voyais plus depuis quatre ans.

— Hviu, 31 ans, marié le 07/05/2082, un enfant de trois ans – turbulent, claustrophobe, œdipe marqué… a marché à 12 mois, parlé à 16. Réseau relationnel par amitié décroissante : Yrdg, Klsue, Pagqs, Hdof, Afsel… »

 

Mais le quotidien de cette société de surveillance généralisée va se voir secoué par les actions subversives de la Volte, un groupuscule contestataire.

La plume d’Alain Damasio est parfois complexe mais fantastique.  Les personnages que nous croisons dans La Zone du Dehors, tour à tour narrateurs (le changement de narrateur est indiqué par un signe de ponctuation, mais il faut avancer dans la lecture de ses pages pour déterminer qui parle), vont représenter plusieurs facettes de la réflexion – parfois poétique – de l’auteur.

Ainsi l’éloquence et le calme de Kamio contrastent avec la brutalité de Slift. Il est le plus sanguin, le plus téméraire aussi… Au milieu Captp joue l’arbitre froid, philosophe engagé, réfléchi, tandis que Brihx, pris entre l’amour qu’il voue à sa famille et son envie de changer les choses, apporte le regard humain à l’ensemble.

Tout ce petit monde est flamboyant. Leurs actions percutantes, leurs luttes donnent des scènes d’action sont époustouflantes. Et la tension est palpable à mesure que les actions s’intensifient et que la menace de se faire attraper augmente !

La Zone du Dehors est un livre de combat contre nos sociétés de contrôle. C’est également un roman  dystopique qui met en exergue le glissement d’une démocratie dans le totalitarisme, mettant en garde contre des dérives que nos gouvernements, nos multinationales, nos technologies et nos médias tissent au fur et mesure des décennies dans la plus grande indifférence.

Cerclon est l’incarnation même de la société de contrôle sous le modèle démocratique. Et cela n’est pas sans rappeler certaines dérives déjà bien présentes dans notre monde, comme celles observées en Chine avec le « crédit social » qui classe les bons et les mauvais citoyens. Leurs points leur conférant certains avantages, ou a contrario, les privant de libertés.

On peut par exemple lire dans cette tribune IZOARD Celia. Le totalitarisme numérique de la Chine menace toute la planète [en ligne] Reporterre, 06 janvier 2021. Disponible sur : https://reporterre.net/Le-totalitarisme-numerique-de-la-Chine-menace-toute-la-planete (consulté le 17 janvier 2021) :

« Le système du crédit social mis en place pour lutter contre la « malhonnêteté », en cours de déploiement à l’ensemble du pays, permet ainsi d’ajuster en permanence la note de chaque citoyen en fonction du moindre de ses actes : un message posté sur internet, un don du sang, le fait de ne pas rendre visite à un parent âgé, de ne pas avoir rendu un livre à temps à la bibliothèque. En 2018, déjà, 17,5 millions de Chinois n’avaient plus le droit de prendre l’avion et 5,5 millions étaient privés de train à cause d’un mauvais score. »

 

Je ne peux donc que vous recommander de lire cette histoire. Elle peut rebuter par son volume très conséquent (à l’origine, elle avait été publiée en deux tomes), mais je vous l’assure : vous ne serez pas déçu(e) si vous aimez les utopies sombres 😁

 

A noter que La Zone du Dehors a été récompensé par le prix du Roman européen Utopiales 2007 🥇

 

🏷️ L’œuvre en 5 mots-clés : La Zone du Dehors, Damasio, Cerclon, la Volte, échelle sociale, 5-lettrés

 

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