Puisqu’il est question des incontournables en matière d’utopie sombre, un auteur américain a marqué toute génération par la plus célèbre de ses œuvres ⤵
HARRISON Harry. Soleil vert. Paris : J’ai lu, 2016, 350 p. (collection Science-fiction)
👉 Soleil vert 👈
Le résumé : l’histoire se déroule en août, à New-York. Au moment où l’humanité s’apprête à entrer dans le troisième millénaire, la surpopulation est devenue telle que les ressources naturelles ne suffisent absolument plus à couvrir les besoins des gens. La nourriture et l’eau sont rationnées, il n’y a plus de pétrole, plus vraiment d’animaux non plus.
Trente-cinq millions de New-Yorkais, pour la plupart sans emploi ni logement, se battent tous les jours pour survivre. Parmi eux, Andrew Rush a un travail, lui. Avec les autres policiers de sa brigade, il part quotidiennement disperser les émeutes de la faim qui se produisent lors de chaque nouvelle distribution de nourriture de synthèse.
Le policier tente de maintenir l’ordre dans ce cloaque où c’est chacun pour soi et ou les mafieux sont rois. Lorsque Mike O’Brien, un nabab aux activités louches se fait descendre. C’est à Andy qu’est confiée l’enquête. Chargé de retrouver l’assassin, Andy le remercierait presque pour services rendus s’il parvenait à l’attraper, tant ce monde est désabusé…
Mon avis : ce livre cynique et cruel nous propulse au milieu du chaos ! New York est devenue une ville agonisante, réduite à néant qui se fait le témoin de la déchéance de ses habitants qui rackettent et polluent ses rues dans une ambiance caniculaire et poussiéreuse.
« Voilà comment l’humanité a réussi à engloutir en un siècle des ressources qui avaient mis des millions d’années à s’accumuler, et aucun de nos dirigeants ne s’est donné la peine d’écouter toutes les voix qui essayaient de les prévenir, ils nous ont simplement laissé surproduire et surconsommer, jusqu’à ce que le pétrole s’épuise, que la couche arable finisse emportée, les arbres abattus, que la plupart des espèces animales disparaissent, qu’on ait définitivement empoisonné la terre – et tout ce qu’on est capable d’opposer à ça, c’est sept milliards de personnes qui s’en disputent les restes, en vivant une existence misérable et en continuant à se reproduire de manière complètement incontrôlée. »
On peut y voir les prémices des multiples avertissements des partisans de la décroissance et/ou des collapsologues ! Sans doute les débuts de la conscience écologique dans le monde littéraire… Pourtant, Soleil vert a été publié il y plus de cinquante-quatre ans. Paru aux Etats-Unis en 1966, il ne sera traduit en français qu’en 1974 et publié aux Presses de la cité.
Rien n’a réellement changé depuis tout ce temps, et force est de reconnaître que ce livre aurait pu être écrit de nos jours, tant il semble cohérent avec ce que nous vivons actuellement au plan écologique et environnemental.
Au plan humain, est-on si éloigné ce New York moite et puant ?
Où les âmes en peine de travail, de nourriture, d’eau, d’énergie rôdent et se révoltent en pleine canicule. Les émeutes d’affamés sont monnaie courante, dans cette société où l’extrême opulence d’une poignée de privilégiés côtoie dans l’insouciance la plus totale l’extrême pauvreté des masses composées de millions de chômeurs vivant difficilement des aides sociales.
Car bien que l’humanité soit au bord du gouffre, les classes sociales sont, elles, toujours présentes. L’homme a gagné de la place en s’installant sur l’eau, à bord de péniches rassemblées pour former des bidonvilles flottants, pendant que d’autres peuvent se payer le luxe d’avoir un grand appartement.
La colère gronde, l’agressivité augmente, les idées se radicalisent chez ceux forcés d’avaler des tablettes de soylent – la nourriture artificielle fabriquée par la marque du même nom – mises à toutes les sauces (« steaks de solent », « pâte de soylent »). Si l’on revient sur la période des Gilets jaunes en France, ou encore des évènements très récents au Capitole outre-Atlantique, on a vite fait le parallèle social entre certaines des caractéristiques de ce monde, et le nôtre.
« Les cartes d’allocations se chargeaient de tout, elles faisaient en sorte de vous garder juste assez vivant pour que vous détestiez être en vie. »
Les personnages de Soleil vert sont mis à rude épreuve, plus aucune perspective d’avenir, de la survie pure, au jour le jour. Et ce n’est pas plus gai de l’autre côté du livre : le lecteur suffoque lui aussi, il se sent écrasé par le poids des immeubles défraîchis et le sentiment d’absolu désenchantement qui émane de ce texte. L’auteur fait de la ville un personnage à part entière. Elle est décrite comme au bord du naufrage.
Andrew Rush, notre héro, est un policier honnête qui partage un petit appartement avec un vieillard nommé Sol. Envoyé sur place pour éviter qu’une manifestation de personnes âgées ne dégénère (raté ! Tout ça dérape allègrement 😶). Par une série d’évènements liés à cette émeute va découler le meurtre de Mike O’Brien dans un quartier luxueux. Ce gros bonnet de la politique et acteur du marché noir vient d’être assassiné.
S’agit-il d’un crime crapuleux, d’un règlement de comptes ? Mystère. Andy va devoir mener l’enquête mais il doute : pourquoi traquer un criminel quand on sait que le mort a mérité son sort ?
« Rien n’est jamais si simple quand il s’agit de trouver une réponse. Tout le monde a un avis sur tout, et tout le monde l’estime meilleur que celui des autres. C’est toute l’histoire de la race humaine. »
Mais finalement l’intrigue policière ne sert que de liant dans ce roman dystopique. Elle permet de mettre en scène différents personnages, tous englués dans une réalité sordide, se débattant de façon assez pathétique dans un monde où plus rien ne va. Car il faut bien l’avouer, l’enquête en elle-même n’a pas un intérêt démentiel…
Soleil vert est avant tout un portrait glaçant sur les dérives d’une société qui a gâché tout ce qu’elle avait de beau et de grand. Les conséquences de cette population en expansion permanente qui doit faire face à la raréfaction des ressources ? Violences, émeutes, répression, ingérence de l’Etat et indifférence des nantis qui acheter ce que le bas peuple ne peut plus avoir. Aussi alarmant soit-il, le constat est toujours le même : l’argent continue de diviser et de diriger le monde.
A mon sens, le véritable tour de force de cette fiction : parvenir à capter l’intérêt du lecteur d’un bout à l’autre du récit, divisé en deux parties, alors même que tout espoir est immédiatement balayé. Une vraie utopie sombre sur fond de polar qui vaut la peine d’être lue ! Et je dirais plus encore ces jours-ci, tant elle fait écho aux préoccupations actuelles 👌
🏷️ L’œuvre en 5 mots-clés : Soleil vert, Harrison, Andrew Rush, chaos, soylent